Comédienne et danseuse, Magali Noël débute réellement au cinéma en 1954 dans Razzia sur la chnouf, un policier d'Henri Decoin tiré du roman d'Auguste le Breton. Vedette du film, Jean Gabin l'appelle affectueusement « la môme » et s'efforce de la mettre en valeur. Elle enchaîne avec Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, un autre polar où elle impose définitivement son image sexy. Rétrospectivement, elle s'en amuse : « J'étais vraiment toute ronde, toute rose, pas du tout vamp
Absolument pas ! Au contraire, on aurait dit une petite Normande
»
Photo H. Guilbaud |
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Pour Magali, la chanson est arrivée un peu par hasard
1955. Dans sa loge, sur le tournage de Du rififi chez les hommes, elle fredonne le thème du film signé Jacques Larue et Philippe-Gérard. Charmé, Jules Dassin lui propose d'en être aussi l'interprète dans le film et l'encourage à passer une audition. Chez Philips, Jacques Canetti est, lui aussi, séduit par la voix de Magali. Il charge Boris Vian de lui faire enregistrer un premier 45 tours. Pour donner une unité à ce premier essai, ce sera quatre chansons de films à succès : polar (Du rififi chez les hommes, Chantage), western (Johnny Guitar) et grandes reconstitutions historiques (Les grandes manuvres). |
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Photo H. Guilbaud Photos : A gauche : Sam Levin © Ministère de la Culture, France A droite : H. Guilbaud |
« Fais-moi mal, Johnny ! »En mai 1956, Michel Legrand ramène des États-Unis quelques disques d'un genre qui fait fureur : le rock and roll. Bien qu'hostile à ce nouveau rythme, qu'il assimile à « une sorte de chant tribal ridicule, à l'usage d'un public idiot », Boris Vian décide de le parodier. Parodie « par anticipation, plutôt, car le rock n'avait pas encore franchi l'océan », remarque Philippe Boggio, auteur d'une biographie de Vian. Le mois suivant, Boris Vian, Henri Salvador (sous le pseudonyme de Henry Cording) et Michel Legrand (Mig Bike) enregistrent en un après-midi ce qui semble être les quatre premiers rocks entièrement français (Rock and roll mops, Va t'faire cuire un uf, man ).En octobre 1956, c'est au tour de Magali Noël d'immortaliser les autres rocks Pour Boggio, « Magali Noël et Boris Vian se sont entendus pour produire une sorte de contre-pied féminin au machisme du rock américain. En un sens, Fais-moi mal, Johnny ! est même un rock pré-féministe. Une femme crie son appétit. Cela change. » Johnny : un prénom à la mode dans les chansons du milieu des années 50, bien avant qu'un certain Jean-Philippe Smet ne s'en empare Edith Piaf le popularise dès 1953 avec Johnny, tu n'es pas un ange, puis c'est Johnny Guitar, le thème du western de Nicholas Ray dont Peggy Lee fait un standard. En 1956, Boris Vian écrit Surabaya Johnny pour Catherine Sauvage, d'après un song de Bertolt Brecht et Kurt Weill. Le Johnny de la chanson de Magali Noël s'ajoute donc à cette galerie de |
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« Moi, j'aime l'amour qui fait boum ! »Ce deuxième 45 tours lance la carrière discographique de Magali Noël, mais sa charge érotique effraie sa maison de disques qui refuse de le sortir en France ! Jacques Canetti contourne le « problème » en le diffusant d'abord en Suisse, |
Photo Sam Levin © Ministère de la Culture, France |
Un Musicorama houleuxC'est sur la scène de l'Olympia, à l'occasion d'un mémorable Musicorama, que Magali se rend compte de l'impact de ses chansons. Sa tenue conforte son image de vamp : « J'avais une robe en dentelles, vert acide, tout à fait comme les robes que portait Marilyn, des robes assez décolettées avec des petites bretelles Je portais des talons très hauts et j'étais très rousse. C'était démentiel ! »Deux minutes avant d'entrer en scène, un responsable d'Europe numéro 1 vient la voir, l'air désolé : « Magali, les chansons de votre répertoire sont à l'index Si vous voulez les chanter, il vous faudra remplacer les passages osés par " C'est censuré ", ou alors ne rien dire » D'abord paniquée, Magali accepte le défi : « Je rentre en scène et j'attaque avec Le rock des petits cailloux. Ça ne se passe pas trop mal. J'enchaîne avec Strip Rock et enfin avec Fais-moi mal, Johnny !. Et là, au lieu de dire : " Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny | Envoie-moi au ciel, Il y a de l'électricité dans l'air « La moitié de la salle commence à me siffler, à m'envoyer des papiers et même des tessons de bouteilles. C'était affreux, mais l'autre moitié m'applaudissait ! Je me suis brusquement rendue compte que j'étais devant des gens déchaînés et j'avais les jambes qui commençaient à trembler » De part et d'autres des coulisses, Gilbert Bécaud et Eddie Constantine l'encouragent : « Tiens le coup, Magali, tiens le coup ! » « Alors, je suis restée jusqu 'à la fin de mon tour de chant et j'ai même quitté la scène en envoyant des baisers au public, sous une pluie de hurlements C'était extraordinaire ! » |
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Malgré la superbe photo de pochette (extraite du film Du rififi chez les hommes), |
Intitulé « Sexy songs », son quatrième et dernier EP Philips (septembre 1957) tente, justement, de renouer avec la veine « sexy » et les ballades jazzy : Nous avions vingt ans (reprise par Hugues Aufray sur son premier disque Barclay, et dont le thème musical figure dans le film de Pierre Kast, Le bel âge), Mon a, mon amour, Oh ! c 'est divin. Le quatrième titre n'est pas de Boris Vian, mais de Raymond Bravard (Que nous est-il arrivé ?).
À ces seize chansons Philips, il faut ajouter Pan, pan, pan, poireaux pomm' de terre, une facétie, signée Boris Vian et Alain Goraguer, destinée à accompagner la sortie, sur le marché français, des premiers potages en sachets (également enregistrée par Maurice Chevalier), et Au voleur !, une chanson signée Robert Gall et Florence Véran, qui figure sur un super 45 tours de la série « Les coqs d'or de la chanson française 59 ». |
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Photo Corbis/Sygma |
La Dolce Vita !Bientôt, Magali va suivre en Italie son mari, le comédien Roberto Risso. Si elle abandonne provisoirement la chanson, elle n'en continue pas moins de figurer au générique de nombreux films français, souvent des policiers : Le désir mène les hommes, L'île du bout du monde, Le Piège, Des femmes disparaissent, Oh ! que mambo, Boulevard C'est à Rome qu'elle rencontre Federico Fellini qui l'engage dans son nouveau film, promis à un grand retentissement, La Dolce vita. Aux côtés d'interprètes de légende (Marcello Mastroianni, Anita Ekberg, Nico ), elle joue le rôle de Fanny, une danseuse française. En Italie et en France, elle enchaîne les films mais n'intéresse bizarrement pas les réalisateurs de la Nouvelle Vague ! |
Photo Corbis/Sygma |
Retour à la chansonDe retour en France en 1964, Magali Noël retrouve Jacques Canetti. Le producteur, qui vient de monter sa propre maison de disques, entreprend l'intégrale enregistrée des chansons de Boris Vian. En juin 1964, au studio de la Comédie des Champs-Elysées, sous la direction de Jean-Claude Pelletier et Jean-Pierre Dorsay, Magali enregistre [pour son propre album] douze nouvelles chansons de Boris Vian dont La chasse à l'homme, J'coûte cher . Régulièrement rééditées, ces nouvelles chansons de Boris Vian sont devenues elles aussi des classiques. |
Photo Keystone |
Deux ans plus tard, Magali Noël est, aux côtés de Jean-Claude Drouot et Christine Delaroche, à l'affiche d'une comédie musicale présentée au théâtre de la Porte Saint-Martin. Adaptée par Paul Misraki d'un succès de Broadway, Mouche fera l'objet d'un enregistrement sur un 45 tours Barclay (Magali Noël y chante Toi, toujours toi).
Après ces deux disques, Magali s'éloigne une nouvelle fois de la chanson. Le cinéma la réclame. Fellini la redemande pour son Satyricon, Costa-Gavras lui donne un rôle dans Z. Elle tourne aussi dans une adaptation américaine du Tropique du Cancer d'Henry Miller. Retour au disque en 1970 avec deux chansons de Frédéric Botton (Les boîtes et Une énorme samba). Le 45 tours passe plutôt inaperçu. Sa participation à l'adaptation française de Sweet Charity est remarquée. Elle enregistre quelques unes des chansons de cette comédie musicale à succès présentée à New York en 1966, dont Ça sert à quoi (adaptation de Jacques Plante), qu'elle gardera à son répertoire. À la rentrée 1971 paraît le 45 tours La coloquinte, une chanson inspirée du roman de Roger Peyrefitte. En 1973, elle est à l'affiche du nouveau film de Fellini : Amarcord. |
Photos H. Guilbaud (à gauche) et Keystone |
Un an plus tard, on retrouve Magali Noël donnant la réplique à Mouloudji et Bernard Dimey dans Le Bestiaire de Paris, poème fleuve de Dimey, enregistré une première fois en 1962 par Juliette Gréco et Pierre Brasseur. L'année suivante, c'est enfin le grand retour, avec un « grand » disque produit et réalisé par son nouveau mari, Jean-Claude Vial, et douze nouvelles chansons, dont la moitié écrites par Pierre Tisserand (La femme au miroir, Ma voisine ). Un très beau disque de femme adulte. « J'ai été la première chanteuse de rock en France, affirme Magali Noël, et ça, peu de gens le savent. J'ai commencé à enregistrer des rocks en même temps qu'Elvis Presley » Cette réédition de ses premières chansons, remastérisées, en est la parfaite illustration !
Raoul Bellaïche
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